Odnośniki


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penser. Notre vie journalière se déroule parmi des objets dont la seule pré-
sence nous invite à jouer un rôle : en cela consiste leur aspect de familiarité.
Les tendances motrices suffiraient donc déjà à nous donner le sentiment de la
1
KUSSMAUL, Les troubles de la parole, Paris, 1884, p. 233 ; - Allen STARR, Apraxia
and Aphasia (Medical Record, 27 octobre 1888). - Cf. LAQUER, Zur Localisation der
sensorischen Aphasie (Neurolog Centralblatt, 15 juin 1888), et DODDS, On some
central affections of vision (Brain, 1885).
2
Les mouvements et leur importance psychologique (Revue philosophique, 1879, t. VIII,
p. 371 et suiv.). - Cf. Psychologie de l'attention, Paris, 1889, p. 75 (Félix Alcan, éditeur).
3
Physiologie de l'esprit, Paris, 1879, p. 207 et suivantes.
4
Dans un des plus ingénieux chapitres de sa Psychologie (Paris, 1893, t.I, p. 242) A.
FOUILLÉE a dit que le sentiment de la familiarité était fait, en grande partie, de la
diminution du choc intérieur qui constitue la surprise.
Henri Bergson, Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l esprit. (1939) 57
reconnaissance. Mais, hâtons-nous de le dire, il s'y joint le plus souvent autre
chose.
Tandis, en effet, que des appareils moteurs se montent sous l'influence des
perceptions de mieux en mieux analysées par le corps, notre vie psycho-
logique antérieure est là : elle se survit, - nous essaierons de le prouver, - avec
tout le détail de ses événements localisés dans le temps. Sans cesse inhibée par
la conscience pratique et utile du moment présent, c'est-à-dire par l'équilibre
sensori-moteur d'un système nerveux tendu entre la perception et l'action,
cette mémoire attend simplement qu'une fissure se déclare entre l'impression
actuelle et le mouvement concomitant pour y faire passer ses images. D'ordi-
naire, pour remonter le cours de notre passé et découvrir l'image-souvenir
connue, localisée, personnelle, qui se rapporterait au présent, un effort est
nécessaire, par lequel nous nous dégageons de l'action où notre perception
nous incline : celle-ci nous pousserait vers l'avenir ; il faut que nous reculions
dans le passé. En ce sens, le mouvement écarterait plutôt l'image. Toutefois,
par un certain côté, il contribue à la préparer. Car si l'ensemble de nos images
passées nous demeure présent, encore faut-il que la représentation analogue à
la perception actuelle soit choisie parmi toutes les représentations possibles.
Les mouvements accomplis ou simplement naissants préparent cette sélection,
nu tout au moins délimitent le champ des images où nous irons cueillir. Nous
sommes, de par la constitution de notre système nerveux, des êtres chez qui
des impressions présentes se prolongent en mouvements appropriés : si d'an-
ciennes images trouvent aussi bien à se prolonger en ces mouvements, elles
profitent de l'occasion pour se glisser dans la perception actuelle et s'en faire
adopter. Elles apparaissent alors, en fait, à notre conscience, alors qu'elles
sembleraient devoir, en droit, rester couvertes par l'état présent. On pourrait
donc dire que les mouvements qui provoquent la reconnaissance machinale
empêchent par un côté, et de l'autre favorisent la reconnaissance par images.
En principe, le présent déplace le passé. Mais d'autre part, justement parce que
la suppression des anciennes images tient à leur inhibition par l'attitude
présente, celles dont la forme pourrait s'encadrer dans cette attitude rencontre-
ront un moins grand obstacle que les autres ; et si, dès lors, quelqu'une d'entre
elles peut franchir l'obstacle, c'est l'image semblable à la perception présente
qui le franchira.
Si notre analyse est exacte, les maladies de la reconnaissance affecteront
deux formes profondément différentes et l'on constatera deux espèces de
cécité psychique. Tantôt, en effet, ce sont les images anciennes qui ne pour-
ront plus être évoquées, tantôt c'est seulement le lien entre la perception et les
mouvements concomitants habituels qui sera rompu, la perception provoquant
des mouvements diffus comme si elle était nouvelle. Les faits vérifient-ils
cette hypothèse ?
Il ne peut y avoir de contestation sur le premier point. L'abolition appa-
rente des souvenirs visuels dans la cécité psychique est un fait si commun qu'il
a pu servir, pendant un temps, à définir cette affection. Nous aurons à nous
demander jusqu'à quel point et dans quel sens des souvenirs peuvent réelle-
ment s'évanouir. Ce qui nous intéresse pour le moment, c'est que des cas se
présentent où la reconnaissance n'a plus lieu, sans que la mémoire visuelle soit
pratiquement abolie. S'agit-il bien alors, comme nous le prétendons, d'une
simple perturbation des habitudes motrices ou tout au moins d'une interruption
Henri Bergson, Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l esprit. (1939) 58
du lien qui les unit aux perceptions sensibles ? Aucun observateur ne s'étant
posé une question de ce genre, nous serions fort en peine d'y répondre si nous
n'avions relevé çà et là, dans leurs descriptions, certains faits qui nous parais-
sent significatifs.
Le premier de ces faits est la perte du sens de l'orientation. Tous les
auteurs qui ont traité de la cécité psychique ont été frappés de cette parti-
cularité. Le malade de Lissauer avait complètement perdu la faculté de se
diriger dans sa maison 1. Fr. Müller insiste sur ce fait que, tandis que des
aveugles apprennent très vite à retrouver leur chemin, un sujet atteint de cécité
psychique ne peut, même après des mois d'exercice, s'orienter dans sa propre
chambre 2. Mais la faculté de s'orienter est-elle autre chose que la faculté de
coordonner les mouvements du corps aux impressions visuelles, et de pro-
longer machinalement les perceptions en réactions utiles ?
Il y a un second fait, plus caractéristique encore. Nous voulons parler de la
manière dont ces malades dessinent. On peut concevoir deux manières de
dessiner. La première consisterait à fixer sur le papier un certain nombre de
points, par tâtonnement, et à les relier entre eux en vérifiant à tout moment si
l'image ressemble à l'objet. C'est ce qui s'appellerait dessiner « par points ».
Mais le moyen dont nous usons habituellement est tout autre. Nous dessinons
« d'un trait continu », après avoir regardé le modèle ou y avoir pensé.
Comment expliquer une pareille faculté, sinon par l'habitude de démêler tout
de suite l'organisation des contours les plus usuels, c'est-à-dire par une ten-
dance motrice à en figurer tout d'un trait le schème ? Mais si ce sont précisé-
ment les habitudes ou lei; correspondances de ce genre qui se dissolvent dans
certaines formes de la cécité psychique, le malade pourra encore, peut-être,
tracer des éléments de ligne qu'il raccordera tant bien que mal entre eux; il ne
saura plus dessiner d'un trait continu, parce qu'il n'aura plus dans la main le
mouvement des contours. Or, c'est précisément ce que l'expérience vérifie.
L'observation de Lissauer est déjà instructive à cet égard 3. Son malade avait
la plus grande peine à dessiner les objets simples, et s'il voulait les dessiner de
tête, il en traçait des portions détachées, prises çà et là, et qu'il n'arrivait pas à
relier les unes aux autres. Mais les cas de cécité psychique complète sont
rares. Beaucoup plus nombreux sont ceux de cécité verbale, c'est-à-dire d'une
perte de la reconnaissance visuelle limitée aux caractères de l'alphabet. Or
c'est un fait d'observation courante que l'impuissance du malade, en pareil cas,
à saisir ce qu'on pourrait appeler le mouvement des lettres quand il essaie de
les copier. Il en commence le dessin en un point quelconque, vérifiant à tout
moment s'il reste d'accord avec le modèle. Et cela est d'autant plus remar-
quable qu'il a souvent conservé intacte la faculté d'écrire sous la dictée ou
spontanément. Ce qui est aboli ici, c'est donc bien l'habitude de démêler les [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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